Elena et les joueuses – Lolita Pille

Si Proust avait été encore vivant, jamais je n’aurais osé écrire cette chronique. La pensée même qu’il aurait pu la lire au hasard d’Instagram m’aurait horrifiée. Car depuis son Contre Sainte-Beuve, plus personne ne se risque à penser qu’une oeuvre est le reflet de la vie d’un écrivain.

Mais voilà, la tentation est trop forte. Quand on sait que Lolita Pille a été célébrée (et chahutée) à 17 ans comme un véritable prodige après le succès fracassant de son roman Hell, comment de ne pas voir dans son dernier livre une métaphore de son propre destin ? Elena et les joueuses raconte une journée dans la vie d’Elena, ex-prodige du tennis, qui a stoppé net sa carrière avant même qu’elle n’ait décollé.

“Quand j’ai renoncé, […] j’étais classée en dessous des trois cents […]. C’est ma faute… je hais la douleur. Jamais j’ai réussi à aimer en elle le moyen d’une plus grande perfection. Je m’esquive en général à son approche. Mais si j’avais eu assez de dureté et de vision pour me hâter à sa rencontre, la prendre à bras le corps et lui rendre son baiser au centuple, je serais peut-être, au moment où je te parle, en train d’affronter Serena Williams […]. Ou pas”.

Le roman raconte une journée de la vie d’Elena, longtemps après cette carrière manquée. Ce 24 août 2014, elle déambule dans Paris ; le matin même elle a vu ses copines de lycée, un peu après elle ira chercher son amoureux à la gare de Lyon. C’est l’occasion pour elle de se confronter aux dieux de sa jeunesse, qui comme de véritables janus révèlent un visage parfois tout à fait démoniaque.

Cette déambulation prend l’allure d’une tournée des enfers. Lolita Pille décrit un monde vidé de ses dieux, où les êtres humains prennent des masques trompeurs, où la vérité est toujours cachée par des apparences fallacieuses. L’enfer, thème de prédilection de Lolita Pille ?

Malgré cette similarité, ce roman n’est pas le simple pendant de Hell. La dénonciation fougueuse a laissé place à une vision singulière, le cri a pris du style et laisse parfois deviner un chant. Sous le monde moderne, on perçoit les reflets chatoyants du classicisme. La transposition littéraire est bien là. Proust peut dormir tranquille.

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Deux Soeurs – David Foenkinos

Il faut être fondamentalement moderne, disait Rimbaud.

A une époque où l’amour est si libre qu’il se fait et se défait sans contraintes, qu’il y a-t’il de plus moderne que la rupture amoureuse ? Qu’il y a-t’il de plus contemporain que le désamour, le vide vertigineux qui s’ouvre, la dépression qui s’ensuit ?

Dans un très beau récit, David Foenkinos raconte avec des mots simples la tragédie ordinaire que l’on joue tous au moins une fois dans notre vie : celui de la séparation amoureuse.

Mathilde et Etienne s’aiment depuis 5 ans. Un jour, sans rien qui laissait présager la rupture, Etienne quitte le domicile conjugal : il retourne vivre avec son ex qui revient d’Australie. L’univers de Mathilde s’effondre, elle est recueillie par sa soeur Agathe dans le petit appartement qu’elle occupe avec son mari et sa fille. Cachée sous la gratitude et l’amour fraternel, la rivalité de leur enfance renaît, elle mènera au drame.

Toute tragédie réactive la mythologie. Derrière la rivalité entre soeurs, c’est tout un fond ancestral que David Foenkinos ranime : de la Genèse aux mythes greco-latin, la jalousie décime les familles, des fratries s’entretuent.

En trouvant le juste équilibre entre réalité contemporaine et connotation mythique, David Foenkinos s’éloigne du fait divers pour livrer une tragédie puissante, qui touche notre part immortelle.

A lire.