Comme elle l’imagine – Stéphanie Dupays

J’ai lu le livre de Stéphanie Dupays d’une traite, me reconnaissant à chaque page, si bien qu’en le refermant je me suis écriée : “Laure, c’est moi !”
Et cela n’est pas un hasard : Laure, le personnage principal de Comme elle l’imagine, est une Madame Bovary du 21e siècle.

Laure est professeur de lettres à la Sorbonne. Cette spécialiste de Flaubert tombe amoureuse de Vincent, un homme qu’elle a rencontré sur Facebook. Après quelques likes échangés, elle se lance dans une conversation privée, et peu à peu succombe au charme de cet avatar virtuel :


“Face à son béguin virtuel, ces hommes n’avaient aucune chance car ils étaient réels alors que Vincent était une idée façonnée par Laure à l’image exacte de son désir. »

Comme Madame Bovary, Laure est prise au piège d’une imagination toute puissante. Elle la mène à un amour inconsidéré pour une personne qu’elle fantasme plus qu’elle ne connaît, et dont elle scrute le moindre signe sur les réseaux sociaux.

Comme elle l’imagine remporterait haut la main le prix Narcisse du roman s’il existait : on se regarde dans ce roman comme dans un miroir, on s’identifie à son héroïne accro à sa messagerie Facebook, aux chansons de Goldman et aux films de Rohmer.

A l’heure où le virtuel transforme les relations entre les êtres, où internet démultiplie le rôle de l’imaginaire dans la formation du désir, Stéphanie Dupays transpose avec subtilité l’héroïne de Flaubert au 21e siècle.

Merci Stéphanie Dupays, grâce à vous Madame Bovary s’est fait un lifting digne des plus grandes stars.

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Deux Soeurs – David Foenkinos

Il faut être fondamentalement moderne, disait Rimbaud.

A une époque où l’amour est si libre qu’il se fait et se défait sans contraintes, qu’il y a-t’il de plus moderne que la rupture amoureuse ? Qu’il y a-t’il de plus contemporain que le désamour, le vide vertigineux qui s’ouvre, la dépression qui s’ensuit ?

Dans un très beau récit, David Foenkinos raconte avec des mots simples la tragédie ordinaire que l’on joue tous au moins une fois dans notre vie : celui de la séparation amoureuse.

Mathilde et Etienne s’aiment depuis 5 ans. Un jour, sans rien qui laissait présager la rupture, Etienne quitte le domicile conjugal : il retourne vivre avec son ex qui revient d’Australie. L’univers de Mathilde s’effondre, elle est recueillie par sa soeur Agathe dans le petit appartement qu’elle occupe avec son mari et sa fille. Cachée sous la gratitude et l’amour fraternel, la rivalité de leur enfance renaît, elle mènera au drame.

Toute tragédie réactive la mythologie. Derrière la rivalité entre soeurs, c’est tout un fond ancestral que David Foenkinos ranime : de la Genèse aux mythes greco-latin, la jalousie décime les familles, des fratries s’entretuent.

En trouvant le juste équilibre entre réalité contemporaine et connotation mythique, David Foenkinos s’éloigne du fait divers pour livrer une tragédie puissante, qui touche notre part immortelle.

A lire.

Les variations sentimentales – André Aciman

Contrairement à ce que laisse présager le titre, Les Variations sentimentales ne parlent pas d’amour. Dans ce récit d’une vie où les êtres aimés se suivent, se superposent, se heurtent parfois, ce n’est pas lui qui est le moteur de l’histoire.

Non. C’est le fantasme.

Le narrateur du livre d’André Aciman se fait des films. Il s’imagine des histoires. Dans un espace qui n’appartient qu’à son imagination, il traque les êtres qui cristallisent son désir, il échafaude des plans de séduction. Parfois, son désir télescope la réalité, parfois il se termine en impasse.

Roland Barthes disait du fantasme qu’il est un “roman de poche que l’on transporte toujours avec soi et que l’on peut ouvrir partout sans que personne y voie rien, dans le train, au café, en attendant un rendez-vous” . André Aciman lui donne ses lettres de noblesses littéraires, en en faisant le moteur de l’histoire, de toute histoire.

Hélène ou le soulèvement – Hughes Jallon

Hélène.

Dans la mythologie grecque, ce prénom évoque à lui seul l’amour, le rapt, l’enlèvement d’une jeune fille.

Chez Hughes Jallon, il s’agit moins d’un enlèvement qu’une rébellion. C’est un soulèvement, celui d’une mère de famille qui se révolte contre sa vie domestique pour disparaître en grèce avec un inconnu.

“Il a vu qu’elle était revenue, et elle l’avait laissé faire, elle l’avait laissé attraper sa main, et pour finir elle l’avait suivi jusqu’en bas de l’escalier, dans la rue qui descendait vers la gare, jusqu’à la jetée où venaient s’écraser les vagues.”

C’est l’amour fou, l’amour inexpliqué, l’amour qui vous fait mourir et renaître ailleurs, tout à fait autre.

“Je serai devenue un souvenir, on m’appelait Hélène, ma voix enregistrée sur un répondeur, des photos passées, toujours souriante […], mes bijoux réunis dans une boite au fond d’un des tiroirs de la commode, mes robes enfermées dans de grandes housses tassées sur un côté de la penderie avec mes cartons à chaussures dans l’appartement de Libourne, ce qu’il restera de moi, Hélène”.

J’ai aimé ce court roman. Sa forme est originale, c’est celle d’un roman photo. L’auteur y intègre des photographies, et dans ses images fixes, le temps s’arrête, l’intensité du désir se renouvelle à l’infini. Pour notre plus grand plaisir.