Ray Bradbury-Fahrenheit 451

ATTENTION, ÇA BRÛLE !

Malgré les apparences, je n’ai pas brûlé mon exemplaire de « Fahrenheit 451 » de Ray Bradbury.  Les éditions Folio ont eu l’idée de cette jolie mise en page pour coller au sujet de ce classique indémodable.

Fahrenheit 451 : température à laquelle un livre s’enflamme et se consume. Dans ce livre publié en 1953 aux états-unis, Ray Bradbury raconte l’histoire d’une société dans laquelle l’acte de lecture est prohibé par la loi. Un corps spécial de pompiers est dédié au fait de brûler les livres, afin de veiller à la tranquilité d’une société entièrement manipulée par la télévision et les médias de masse. Montag, un des pompiers de la brigade, décide de sauver la littérature et l’imaginaire, et devient un criminel pourchassé.

“[…] – Qu’est-ce qui s’est passé ?
– On a brûlé un millier de livres. On a brûlé une femme.
– Et alors ?

– Tu n’étais pas là, tu ne l’as pas vue. Il doit y avoir quelque chose dans les livres, des choses que nous ne pouvons pas imaginer, pour amener une femme à rester dans une maison en flammes; oui, il doit y avoir quelque chose. On n’agit pas comme ça pour rien”

Ce livre m’a captivé. Son histoire rappelle la bibliothèque d’Alexandrie, les autodafés nazis, et sonne encore d’actualité aujourd’hui. Non, on ne brûle pas les livres, mais ces derniers sont classés en biens non essentiels, leur consommation marginalisée au profit des séries Netflix.

Après « 1984 » et de « Fahrenheit 451 », quel autre classique de la science fiction me conseilleriez-vous de lire ?

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Julia Kerninon – Une activité respectable

Beauté littéraire !

Ce livre a été un éclat dans ma semaine, un soleil haut et doux tranchant sur l’hiver.

Comment tombe-ton dans les livres? Pourquoi devient-on écrivain ? Toutes ces questions, Julia Kerninon y répond dans un court récit autobiographique.

Les parents de Julia Kerninon étaient déjà obsédés par les livres. A cinq ans, elle avait une machine à écrire, et une chambre où s’empilaient les volumes rassemblés par sa mère. Son parcours de lecteur et d’écrivain se confond avec ses souvenirs d’enfance, sa vocation avec sa destinée familiale.

Inutile d’être écrivain pour aimer ce livre, se reconnaître dans le goût prononcé de la littérature qu’elle décrit au fil des pages, et qui coule chez elle comme le lait maternel :

« Les gens étaient vagues, peu fiables, et plus retors que nous. En transparence derrière chacune de leurs phrases, il y en avait d’autres, et c’était apparemment celles-ci qu’il aurait fallu entendre, mais nous ne parvenions pas à comprendre pourquoi et alors nous nous y refusions, c’était notre luxe, nous avions beaucoup, beaucoup de chance, me disait-elle [sa mère], car nous avions les livres et que dans les livres les phrases sont éternelles, noires sur blanc, solides, crédibles – elles n’étaient pas en l’air, elles ne venaient pas de n’importe qui, elles avaient été polies, ordonnées, réfléchies, par des individus précis, attentifs, et elles nous livraient le monde entier, le monde accéléré, perfectionné, lavé de ses scories, sans temps mort, un cours d’eau pur et bondissant, un monde dans lequel nous pouvions nous échapper chaque fois que le réel cessait d’être intéressant, ce qui arrivait trop souvent quand quelqu’un venait nous parler. Et cette leçon-là était une grande leçon aussi, pour quelqu’un qui voulait devenir écrivain ».

Julia Kerninon nous convainc s’il fallait l’être de cette vérité fondamentale : « La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature » (Proust).

ALLO LEÏLA SLIMANI ?

14h30, 14H45…plus le moment approchais, moins je tenais en place. Ce lundi, j’avais un rendez-vous par téléphone avec Leïla Slimani, Prix Goncourt pour “Chanson douce” et auteur du très beau “Le parfum des fleurs la nuit” tout juste paru aux éditions Stock.

J’appelle, et demande à Leïla Slimani de me raconter une anecdote. Une anecdote ? Elle réfléchit un instant, puis me retrace l’histoire de cinq dessins qui se trouvent dans son bureau, cinq dessins signés de la main de Milan Kundera.

“Lorsque j’ai publié mon premier roman, j’ai envoyé mon roman à Milan Kundera mais sans aucun espoir de retour. Un jour je suis rentrée chez moi en plein été, et j’ai demandé à mon mari si on avait du courrier, et il m’a dit oui, on a une lettre de Darty et une lettre de Milan Kundera. J’ai ouvert la lettre, et dedans il y avait cinq dessins de Milan Kundera et un petit mot pour moi où il me remerciait pour mon roman. Et ce jour-là j’ai eu l’impression d’avoir réalisé le plus grand rêve de toute ma vie”

“Milan Kundera est un auteur fondateur pour moi” me dit-elle. “C’est mon alter ego littéraire, j’ai une admiration sans bornes pour lui, j’ai été amoureuse de lui entre l’âge de 16 et 26 ans et puis après j’ai compris que c’était un amour impossible alors j’ai renoncé. C’est un auteur très important pour moi.”

Je lui demande si Milan Kundera l’a inspiré dans son écriture : “L’insoutenable légèreté de l’être, est un livre qui m’a bouleversé et qui est le livre tutélaire de “Dans le jardin de l’ogre”. C’est pratiquement le seul livre que le personnage de ce roman a dans les mains, et elle a des sortes de flash érotiques quand elle le lit. Toutes les questions que pose Kundera sur la séparation fondamentale entre l’âme et le corps, et qui fait que le rapport à la sexualité peut-être si mélancolique et si douloureux, est fondateur dans toute mon écriture. Mes personnages féminins traversent ces sensations-là.”

J’ai adoré cette anecdote, belle comme un trou de souris menant au bureau de Leïla Slimani.

Viola ARDONE- Le Train des enfants

Le pouvoir du roman !

“Emporte-moi, wagon ! Enlève-moi, frégate !
Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs !” (Baudelaire)”

Ce que je demande à un roman ? M’emporter loin de mon quotidien. C’est ce que fait à merveille le roman de Viola Ardone, qui m’a embarqué dès les premières pages dans une autre vie que la mienne.

Dans “Le Train des enfants” publié aux éditions Albin Michel, on suit les aventures d’Amerigo, un enfant de 8 ans qui vit en 1946 dans les quartiers pauvres de Naples. A l’initiative du parti communiste, il prend le train avec des milliers d’autres enfants pour passer quelques mois dans une famille du nord, une famille riche. À son retour, il est tiraillé entre sa famille d’adoption et la sienne, misérable.

Dès le début du roman, on est dépaysé par la vision du monde qu’il nous propose, celle d’un môme de l’après-guerre :

“Maman devant et moi juste derrière. Dans les ruelles des quartiers espagnols, où tout le monde parle napolitain, maman marche vite : quand elle fait un pas, j’en fais deux. Je regarde les chaussures des gens. Si elles sont en bon état, je gagne un point; si elles sont trouvées, je perds un point. Pas de chaussures : zéro point. Chaussures neuves je n’en ai jamais eu, je porte celles des autres et elles me font toujours mal. Maman dit que je marche de traviole. C’est pas ma faute. C’est à cause des chaussures des autres. Elles ont la forme des pieds qui les ont utilisées avant moi.”

Je vous conseille ce très beau roman, qui permet de découvrir un épisode méconnu de l’italie à la hauteur des yeux d’enfants.

Grande nouvelle

J’ai une grande nouvelle à vous annoncer : cette année, je suis jurée du Grand Prix de l’héroïne Madame Figaro ! Ma première participation à un jury littéraire !

Chaque mois, trois livres seront sélectionnés dans trois catégories. Les 3 vainqueurs seront annoncés en juin, lors de la remise de prix.

J’ai décidé de vous faire vivre mois après mois les coulisses du prix. Ca vous dit ?

Voici la première sélection de livres :

ROMAN FRANCAIS : FILLE de Camille Laurens aux éditions Gallimard.
Laurence Barraqué grandit avec sa soeur dans les années 1960 à Rouen. « Vous avez des enfants ? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il. Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ? L ‘écriture de Camille Laurens restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.

ROMAN ETRANGER : ARIA de Nazanine Hozar aux éditions Stock.
A travers le destin d’une femme, Nazanine Hozar célèbre la beauté de la culture persane et raconte trois décennies de l’histoire iranienne. De 1953 à 1979, avènement du régime islamique, le roman suit le destin d’une enfant abandonnée à sa naissance dans une rue de Téhéran. Un roman fresque traduit par Marc Amfreville

ESSAI/BIO : ALLER AVEC LA CHANCE d’Iliana Holguin Teodorescu aux éditions Verticales.
Elle est jolie et a 18 ans, elle aime voyager, elle a le frisson du hasard des rencontres… Alors, elle part seule en auto-stop pour traverser l’Amérique latine: le Chili, la Colombie, le Pérou, l’Equateur. Les chauffeurs sont souvent des hommes, elle écoute leurs vies, elle les observe, les découvre. De ce voyage initiatique, libre et sans peur, Iliana en fait un récit singulier, celui d’une femme sans contrainte et lumineuse à l’écoute du monde.

Pour vous les faire découvrir, j’ai encore craqué sur la mise en page, direction Chamonix ! Bah quoi ? Les vac de février valent bien une glissade de livres !

Christophe Bourseiller – En cherchant Parvulesco

Mais qui Parvulesco ?

Parvulesco. Le nom ne vous dit peut-être rien. Qui donc se souvient de ce mystérieux écrivain d’origine roumaine, incarné par Jean-Pierre Melville dans “À bout de souffle” de Godard ? Son apparition dans ce film est fugace. Le temps d’une scène, le comédien descend d’un avion avec chapeau et lunettes noires. Une horde de journalistes l’attend sur le tarmac. À la question de savoir quelle est la plus grande ambition de sa vie, il répond “Devenir immortel et mourir”.

Qu’est-ce qui lie Godard, étoile du cinéma français déifié de son vivant à cet écrivain obscur, mort ignoré de tous ? Christophe Bourseiller, comédien et auteur de “En cherchant Parvulesco” assemble un puzzle. Toutes les pièces ramènent à lui :

“Godard, je l’ai connu mieux que personne durant l’enfance, je l’ai fréquenté assidûment, j’ai tourné dans ses films, je l’ai aimé. Parvulesco, je l’ai croisé furtivement à l’âge adulte, j’ai tenu ses ouvrages avec des pincettes mais je les ai lus avec plaisir, il m’a fait sourire et je m’en suis méfié. L’un séduisait le monde entier, tandis que l’autre peinait à faire entendre au mieux une parole irriguée par le rêve.”

Christophe Bourseillier est un enfant de la balle. Ses parents sont comédiens et metteurs en scène. Godard était un ami de la famille, un proche parmi les proches. Il a tourné dans ses films, avant de se faire connaître du public français en jouant dans les films de Yves Robert, Un éléphant ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis et Courage fuyons. Peu après, sa carrière cinématographique s’est arrêtée. La machine à succès s’est enrayée.

En cherchant Parvulesco, l’écrivain qui a tout raté, Christophe Bourseiller cherche les traits de son propre visage :

“Lui et moi, nous sommes tous deux échappés d’un film. Nous sommes tous deux des “personnages en quête d’auteur”, selon la belle formule de Pirandello”.

Je vous conseille ce merveilleux livre ! Pour Godard, pour Parvulesco, et pour les souvenirs d’enfance de Christophe Bourseiller qui ont du cachet, vraiment.

Claude simon-Oeuvres

Canular littéraire !

Avez-vous déjà lu un roman de Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985 ?

En 2017, deux amoureux de la littérature se sont amusés à envoyer les cinquante premières pages de son roman “Le Palace” publié en 1962 pour voir si les comités de lecture accepteraient aujourd’hui le manuscrit. Quelques semaines plus tard, ils ont reçu de nombreuses lettres de refus.

«Les phrases sont sans fin. Elles font perdre totalement le fil au lecteur. Le récit ne permet pas l’élaboration d’une véritable intrigue avec des personnages bien dessinés », lisait-on dans l’un de ces courriers.

Ce n’est pas la première tentative du genre. En 2016, le quotidien Belge Le Soir a envoyé des manuscrits de Huysmans et de Michel Houellebecq à des éditeurs, qui les avaient recalés. En 2005, “Les Chants de Maldoror” de Lautréamont avaient également été refusés.

Vous étiez au courant de ces canulars ? Moi non, je suis tombée dessus par hasard en faisant des recherches sur Internet, et ils m’ont bien fait rire.

Jean-Philippe Toussaint-La disparition du paysage

Avis aux inventeurs…

Au prix de six euros et quatre-vingt cents, ce texte achevé d’imprimer le 2 novembre 2020 à Lonrai (61250) compte quarante-sept pages et dix-sept paragraphes. En soupesant ce livre, je crois pouvoir dire sans me tromper qu’il est de deux cents grammes, un poids équivalent à celui d’une belle tablette de chocolat.

Impossible à calculer : mon ravissement à sa lecture. Quand inventera-t-on une jauge spéciale, un appareil mesurant avec exactitude la portion de bonheur contenue dans les livres de Jean-Philippe Toussaint ?

Leïla Slimani -Le parfum des fleurs la nuit

Ma nuit au musée…

J’aurais pu vous dire que “Les parfums des fleurs la nuit” est le livre le plus intime de Leïla Slimani, et peut-être le plus inspirant. Cette nuit dans un musée de Venise est un prétexte, un joli prétexte vraiment, pour convoquer les images de sa vie et dessiner dans la pénombre ses réflexions sur la création.

Au lieu d’essayer de vous convaincre, je préfère vous dire de lâcher tout, votre téléphone, la main de votre mec, votre dimanche en famille et de foncer en librairie pour acheter ce livre, battant comme une porte sur l’atelier de Leïla Slimani.

Gaëlle Josse-Ce matin-là

J’ai découvert Gaëlle Josse avec “la femme à contre-jour”, un incroyable portrait de la photographe américaine Vivian Mayer. L’histoire de cette artiste inconnue de son vivant m’avait procuré une telle joie que son nouveau roman a dépassé au feu rouge tous les autres livres pour se retrouver en première position de ma pile.

Publié aux éditions Noir sur Blanc “Ce matin-là” raconte l’histoire de Clara, une jeune femme qui mène une belle vie en apparence, avec le bon job, le cool appart, et un amoureux. Mais son existence va s’écrouler du jour au lendemain sur un événement minuscule qui fait basculer sa vie dans le néant : le burn out.

“Elle parle du temps impossible à dilater, à suspendre, l’aiguille de la montre qui court trop vite, en retard, en retard, comme le lapin d’Alice, et les tâches, les rendez-vous qui s’accumulent, les contrôles qui se multiplient. Elle parle du mépris envers les clients qu’il faut pressurer et elle dit qu’elle ne peut plus. Elle raconte les week-ends englués dans l’insomnie et le trop de sommeil, les dimanches soir qui commencent de plus en plus tôt, au réveil parfois. Elle parle des kilos perdus et de l’impossibilité de se nourrir. Cette impression qu’elle a de rejouer la même scène, d’un médecin à l’autre, et elle se demande si ça va être comme ça, sa vie, raconter son histoire, et la raconter encore pour qu’on soit bien sûr qu’elle va mal. »

Gaëlle Josse décrit avec justesse le burn out, ce mal du siècle, en étant au plus près des sentiments, du vouloir qui ne marche plus, et des souvenirs qui remontent :

“Elle voudrait lui dire son envie de retrouver le sens des rivières, dans une longue et lente traversée du monde, de se glisser dans le courant, cette sensation d’aller dans le mouvement, vers le fleuve, vers la mer , là où tout commence, où tout finit.”

J’ai trouvé l’histoire moins trépidante que celle de Vivian Mayer, mais Gaëlle Josse m’a encore une fois touchée par son style, par sa délicatesse.