Laure murat – passage de l’odéon

Dans l’histoire littéraire quels sont vos moments préférés ?
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En ce moment, je suis à fond dans la vie littéraire de l’entre-deux guerre. Je lis le livre de Laure Murat, “Passage de l’Odéon. Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris dans l’entre-deux guerre”, publié chez @folio_livres.

En 1915, Adrienne Monnier inaugure au 7 rue de l’Odéon une librairie-Bibliothèque d’un genre nouveau, “La Maison des Amis des Livres”, appelée à devenir le rendez-vous favori du Tout-Paris Littéraire de l’entre-deux guerres, d’Aragon à Gide en passant par Nathalie Sarraute.

En 1921, son amie Sylvia Beach installe en face, au n°12, une boutique fondée sur le même modèle, “Shakespeare and Company”, dont les habitués ont pour noms Joyce, Fitzgerald, Hemingway. .

Dans ce livre, on apprend que ces deux libraires, qui eurent un rôle clef dans l’aventure intellectuelle du XXe siècle étaient obsédées par la nourriture :

« Adrienne Monnier venait le matin; on voyait apparaître “Miss Beach” toute petite et ratatinée, qui remontait la rue de l’Odéon chargée de cabas après avoir fait son marché rue de Buci. Sylvia ouvrait ses sacs pour montrer à Adrienne ce qu’elle avait acheté: je ne les aies jamais vues ensemble parler d’autre chose que de légumes; elle étaient obsédées par la bouffe”, raconte François Cadarec, qui a connu Adrienne Monnier dans ses dernières années.

Ce que j’aime avec les bons mots, les petits faits, c’est qu’ils donnent corps et chair à l’histoire littéraire. Et vous ?

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COLOMBE Schneck – nuits d’été à brooklYn


En ouvrant “Nuits d’été à Brooklyn”, j’ai pensé que j’allais me retrouver en plein 4th of July, avec des feux d’artifices et des cupcakes aux glaçages impeccables. Il n’en fut rien : derrière la couverture, le rêve tombe à pic. En bas, c’est l’Amérique, la vraie, la divisée, avec son racisme ordinaire.

Ce roman raconte l’histoire d’Esther, jeune étudiante française qui part à New York pour faire un stage de journalisme. Elle y rencontre Frederick, brillant professeur de littérature, spécialiste de Flaubert. Il est marié, il a 41 ans, il vont avoir une aventure ensemble, rien d’étonnant jusque là, sauf que voilà : elle est juive, il est noir. Ils vont se retrouver au centre d’une guerre inter-raciale.

Nous sommes à Crown Heights, petit quartier de Brooklyn qui a cette particularité de mélanger des afro-américains et des juifs, principalement des Loubavitchs. En 1991, le quartier s’embrase suite à un accident dont sont victimes deux enfants afro-américains. La communauté juive est alors visée par de violentes émeutes, un étudiant juif sera assassiné.

Nul ne vit hors de son temps : ces émeutes n’ont rien à voir avec l’histoire d’amour de Esther et Frederick, et pourtant elles vont venir percuter leur histoire, malgré eux.

Colombe Schneck a réussi ce tour de force de faire tenir une histoire d’amour fine et élégante sur les zones de fracture de l’Amérique. Voilà qui a la beauté d’un numéro d’équilibriste !

ALexandre postel – un automne de flaubert

Un automne de Flaubert, de Alexandre Postel aux @editions_gallimard.

Alexandre Postel aurait fait un merveilleux garçon boucher : il a réussi à prélever une tranche de la vie de Flaubert, fine et translucide comme du jambon, pour en faire un roman délicat, au style relevé.

En 1875, Flaubert a 53 ans, il nage en plein marasme : il est au bord de la faillite financière, ses amis meurent tous les uns après les autres, et pour ne rien arranger les choses, il est en panne d’inspiration.

Il décide alors de partir en vacances à Concarneau, où il rejoint son ami Georges Pouchet, qui dirige le vivier-laboratoire de Muséum national d’histoire naturelle où il étudie les tissus nerveux des poissons. A Concarneau, Flaubert s’enfonce dans “une petite vie abrutissante”, prend des bains de mer, et assiste aux expériences de Pouchet dans son laboratoire.

Au contact de cette vie simple, Flaubert va recouvrer l’inspiration, il écrira la Légende de Saint Julien L’Hospitalier, publiée dans les Trois contes.

“Depuis, Flaubert se plaît à songer qu’il tourne ses phrases en même temps que les sardinières […]. Malgré toutes les choses qui le séparent de ces ouvrières de la mer, c’est un sentiment de proximité qu’il éprouve. L’activité de ces femmes n’est pas si différente de la sienne : de même que la sardinière ressuscite les poissons morts dans la vie éternelle de la conserverie, le travail d’une phrase ne consiste-t-il pas à figer les idées dans l’éternité du style ?”

Un roman savoureux comme un jambon-beurre, un jour de marché.

Roland barthes – FRAGMENTS D’UN DISCOURS AMOUREUX

[QUAND TU ES AMOUREUX, TU LIS QUOI ?]
Ceux qui ont les Fragments d’un discours amoureux sur leur table de nuit lèvent la main !

Paru en 1977, cet essai de Roland Barthes est devenu le livre incontournable de la passion amoureuse. A partir de lectures, d’oeuvres, de souvenirs, Roland Barthes explore ce qui fait la spécificité du discours amoureux. Impossible de ne pas se reconnaître dans ce livre : on le lit comme un miroir, comme une chambre d’écho, comme un rendez-vous chez son psychanalyste !

Avant d’être un livre, Le discours amoureux était le nom séminaire donné par Roland Barthes à l’École des hautes études entre 1974 et 1976. Deux années où il a cheminé, exploré les textes, poursuivi certaines notions, en a écarté d’autres. Deux années de travail d’où sont sortis les Fragments, forme parfaite, épurée, travaillée à l’extrême.

Moi qui suis une grande fan des Fragments du discours amoureux, j’étais passée totalement à côté de ce séminaire, pourtant publié en 2007 aux @editionsduseuil .

Le livre se présente comme un gros pavé de 750 pages, mais alors 750 pages de matériaux en fusion, où des alliages nouveaux se forment. Bienvenue au coeur du réacteur nucléaire nommé Roland Barthes.

J’y ai découvert des figures inédites, qui disparaîtront de la version définitive. Ainsi de la Réciprocité : “Si l’amoureux a tant de mal à quitter l’autre, c’est pour une raison évidente et ignorée : l’autre ne veut pas qu’on le quitte. […] On n’est jamais amoureux que de qui vous aime un peu”

J’ai adoré ce livre, qui s’ouvre en son milieu, se dévore de proche en proche, “suivant l’inspiration du moment ou bien notre propre vice sérieux” dirait Rimbaud.

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Morceaux cassés d’une chose – Oscar Coop-Phane

“J’ai voulu écrire par snobisme pour faire comme les hommes morts”. 

Dans Morceaux cassés d’une chose publié aux Editions Grasset, Oscar Coop-Phane s’essaye au genre autobiographique, normalement réservé aux écrivains vieillissants. Pour faire ce livre, il a assemblé “quelques morceaux de sa mémoire, les assembler, les réunir, les envoyer en fabrication comme on dit dans les métiers du livre”. 

Oscar Coop-Phane se raconte par fragments, et mélange des souvenirs d’âges différents, de son enfance à sa vie d’homme. 

On y apprend l’origine énigmatique de son patronyme:

“Mon grand-père ne s’est pas contenté de porter ce nom qui est devenu le mien, il l’a inventé – comme si peu de personnes, étrangement, en éprouvent l’envie. Né Geoffrey Coope, à Wimbledon, espion britannique en France, pendant la Deuxième Guerre, il s’est rebaptisé quand est venue la paix. A son nom, il a apposé celui de l’amant de sa femme – pas ma grand-mère, non, une autre – et le Coope solitaire, en perdant son e, s’est collé au derrière le souvenir gravé de l’amant Phane. »

Il raconte sa jeunesse, son côté rebelle des beaux quartiers, tenté par le situationnisme, qui le fait fonder le Front de Libération Capillaire, contre le gel et la laque. En 2008, il part à Berlin, vit la défonce dans les soirées underground berlinoises. Puis c’est la rencontre salvatrice avec Pauline, de qui il aura une fille, Emmanuelle. 

Entremêlé à sa vie, on découvre sa formation de jeune écrivain, les titres des livres qui ont été refusés (“Mélancolie en Croûte” par exemple),les passages dans les médias,  le quotidien d’un auteur dont la tête est dans les journaux mais qui continue à être Barman. 

J’ai beaucoup apprécié ce livre, qui raconte l’enfance d’un écrivain en marge, guetté par la précarité, et sauvé par l’écriture.

Le sexe selon Maïa – Maïa Mazaurette

Depuis 2015, Maïa Mazaurette analyse les pratiques sexuelles modernes dans des chroniques parues dans Le Monde. Cette année, elle publie aux éditions de la Martinière Le Sexe Selon Maïa, une compilation de ses chroniques illustrées par Charlotte Molas. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cet ouvrage est jubilatoire !

Pourquoi ? 

  1. Maia Mazaurette a un regard franchement décomplexé sur les pratiques sexuelles moderne. Pour une fois qu’il y a quelqu’un qui écrit tout haut ce que tout le monde se demande tout bas ! 
  2. L’écriture est drôle et enlevée. On rit à chaque page ! 
  3. Les illustrations de Charlotte Molas sont amusantes et pleines de peps !

Pour vous donner l’idée du ton général, voici un extrait d’une des chroniques que j’ai préférée, intitulée: “Le Grand cirque du premier rendez-vous”. 

“Deux personnes qui ne se connaissent pas, où très peu, envisagent de terminer la nuit ensemble, c’est-à-dire de se mettre nues, dans un espace clos, qu’au moins l’une d’entre elles ne maîtrise pas, à la suite de quoi il faudra mettre son corps plus ou moins à disposition et, comble de la témérité, pour les plus chanceux, s’endormir en présence de ce(tte) presque inconnu(e) qui pourrait nous planter trois poignards dans le dos. Votre babouin intérieur est actuellement en train de se rouler par terre de terreur. Votre instinct de survie le plus élémentaire hurle en silence : “Mais, enfin, Jean-Louis, Jacqueline, aurais-tu perdu tout bon sens ?”

Un très bel ouvrage, à mettre dans toutes les mains (adultes, et consentantes, bien sur)

Le premier qui tombera – Salomé Berlemont-Gilles

Fans de Zola et de Balzac, surtout ne manquez pas ce livre ! Le premier qui tombera raconte le destin d’une famille dont les rêves se brisent aux portes de la capitale française.

Les romans du 19e siècle foisonnaient de provinciaux criant “A nous deux, Paris”, et qui allaient de désillusions en désillusions, de déchéance en déchéance. Les provinciaux d’hier sont les immigrés d’aujourd’hui : il fuient les tumultes politiques de leurs pays et font l’expérience du déclassement à Paris.

Dans “Le premier qui tombera”, Salomé Berlemont-Gilles raconte l’histoire d’une famille qui quitte la Guinée pour fuir Sékou Touré. Elle trouve refuge à Paris. A Conakry, leur père était médecin, ils menaient grand train et appartenaient à la haute société. A Paris, leur vie ne sera qu’un long déclin.

Dans ce roman, on suit les aventures d’Hamadi, l’aîné de la fratrie. Il a 11 ans quand il laisse derrière lui son enfance dorée en Guinée arrive en France. A Paris il rencontrera le racisme, la délinquance, l’alcool et les putes. Il passera tout le roman à faire mentir la devise républicaine : il n’aura ni la liberté, ni l’égalité, ni la fraternité. Il ne sera qu’un immigré parmi d’autres.

“La mélancolie déferle à l’intérieur de son ventre […]. La vague a été gigantesque : des années d’espoirs, des rêves, une certitude de s’en sortir qui explose contre une vérité. La mort des parents et la cruauté des frères, son manque de courage, ses échecs, le mauvais départ.[…] Il boit pour calmer la douleur et chasser les rivages heureux de Conakry, ce temps fantasmé ou tout était possible”.

Un portrait grandeur nature de ces destinées contemporaines, qui n’ont rien à envier aux personnages du 19e siècle : on y croise avec bonheur des petites frappes à la Zola, des grands coeur à la Balzac.

Cosmétique du Chaos – Espedite

“Le visage a un grand avenir à condition d’être détruit, défait”. En exergue de ce livre, cette citation de Gilles Deleuze et de Felix Guattari laisse échapper un son tout à fait ironique.

Cosmétique du Chaos raconte l’histoire de Hasna, une femme au chômage qui pour favoriser ses chances de réinsertion se plie aux exigences de Pole Emploi : se faire refaire le visage. Après des interventions de chirurgie esthétique qu’elle vit mal, Hasna se rebelle contre une société où la surveillance généralisée prend une forme nouvelle : celle de la reconnaissance faciale.

“Au moment de payer, on te demande une pièce d’identité. Les caméras n’ont pas reconnu ton visage. Tu n’as pas mis à jour ton compte client depuis ton opération. Tu te forces à grimacer un sourire à la caissière en espérant qu’elle fasse le lien avec la photo sur ta carte, ce lien que la machine n’a pas réussi à établir

J’ai aimé cette dystopie dérangeante, qui pointe du doigt nos asservissements consentis, la manière dont les nouvelles technologies modèlent le visage de la société elle-même.

Nos rendez-vous – Éliette Abécassis

Il y a des gens pour qui nous sommes faits, et qui nous échappent toute une vie. 

Dans ce roman qui rend les aléas du vécu, Eliette raconte l’histoire de deux jeunes gens qui étaient prédestinés l’un à l’autre, et qui passent leur vie à se manquer : 

“Ils avaient vingt ans. Ils n’avaient que vingt ans. Et c’était là, en sortant du Café des Capucines lorsque le jour se lève, que leur histoire devait commencer, car ils auraient dû se revoir, prendre un verre, puis un autre, se plaire, et se le dire, puis s’embrasser, sur un quai, en sortant du cinéma ou du restaurant, s’appeler au téléphone pour un rien, et puis un soir ou une nuit, peut-être à l’aube lorsque le jour se lève, après mille étreintes et mille baisers, faire l’amour et s’aimer, s’aimer et se le dire, se le dire et se marier, après quelques jours, quelques mois ou quelques années […]. Or, rien, absolument rien ne se produisit de tout cela.”

Amélie et Vincent ont vingt ans lorsqu’ils se rencontrent à la Sorbonne. Tout devrait les pousser à s’aimer, et pourtant leur vie est une somme de rendez-vous ratés. Pris dans le tourbillon de la vie, ils en aiment d’autres, se marient chacun de leur côté, ont des enfants. Les années passent, ils se revoient, ils s’aiment toujours, mais il manque à chaque fois le kairos, ce moment opportun où tout devient possible, l’instant décisif qui les poussera l’un vers l’autre. 

Un très beau roman, que l’on peut lire comme une injonction : celle de ne pas laisser passer l’instant opportun, de le prendre par les cheveux, à la manière du kairos antique. 

Merci la vie – Anne Wehr

“Tuons l’esprit de pesanteur !” écrivait Nietzsche.“Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois en dessous de moi-même, maintenant un dieu danse en moi”. 

Dans Merci La Vie publié aux Éditions de La Martinière, Anne Wehr livre ses trucs et astuces pour éviter de porter le poids du monde sur ses épaules, pour mener une vie plus simple, plus légère, plus sereine !

“Comment sortir la tête de l’eau, jongler entre le passé et les rêves, quitter la jungle sentimentale et peut-être même kiffer la vie, sans se taper dix ans de psy, consulter un neuro-quelque-chose, ou prier pour croiser le bon Dieu ou le Dalaï Lama (ou au mieux, un lama) ?

Si vous avez besoin d’un shoot de bonne humeur, lisez ce livre léger, léger !